Les Acadiens et la milice, 1776-1815

Nicolas Landry

English Abstract: This short survey aims at putting forward the participation of Acadians in the New Brunswick militia during the American Revolutionary War and the War of 1812. It demonstrates Acadians’ ambivalence to contribute to the war effort with the English forces. Nevertheless, some Acadians were able to benefit from military promotions by gaining a certain social visibility in their communities.  

This post is part of a collaborative project on the Gulf of St. Lawrence. For an overview of the project, “Ecologies, Knowledge, and Power in the Gulf of St. Lawrence Region, c.1500-present” see this overview at NiCHE. For a list of other posts at Acadiensis, Borealia, or NiCHE related to this project, see https://atlanticdigitalscholarship.ca/ongoing-projects/the-gulf-project/.

 

Introduction

Ce texte s’inscrit dans le projet Ecologies, Knowledge, and Power Projections in the Gulf of St. Lawrence Region, c. 1500-present, sous la direction de la professeure Elizabeth Mancke du Département d’Histoire de la University of New Brunswick. Parmi les lignes directrices de cette démarche, mentionnons l’analyse des relations entre les communautés côtières autour du Golf Saint-Laurent. Pour notre part, notre recherche porte sur la période d’établissement acadien dans cette région au lendemain de la Déportation. Toutefois, cette série de textes courts désire informer le lecteur sur un certain nombre d’aspects venant compléter notre recherche soit les relations que les Acadiens entretiennent alors avec une triangulation de forces externes à leur groupe soit l’Église, les marchands anglo-normands et les gouvernements coloniaux. Entre autres lorsque vient le temps de servir dans les forces de milice. Ce billet s’intéresse d’ailleurs à présenter un survol de l’implication acadienne dans les forces de milice en privilégiant le cas du Nouveau-Brunswick.

En 1813, un conflit survient entre Rémi Landry et Jean-Baptiste Thériault au sujet d’une terre située à Grand-Anse au nord-est du Nouveau-Brunswick. Ce dernier obtient gain de cause en raison des « services rendus dans la milice locale », alors que Landry semble issu d’une famille « n’ayant pas encore fait ses preuves »[1]. Cet épisode sert d’entrée en la matière à ce billet portant sur la participation acadienne aux forces de milices coloniales, surtout au Nouveau-Brunswick. Il nous éveille également au fait que les Acadiens, bien que n’étant pas forcément enthousiastes à l’idée de servir dans la milice, en viennent à percevoir les avantages à en tirer. Surtout chez ceux se hissant au rang d’officier. Les Acadiens étaient donc bel et bien inscrits dans « plusieurs compagnies de milice » au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à titre de matelots en partance de Saint-Pierre-et-Miquelon ou des ports de France et ce, sur des navires français durant les guerres napoléoniennes.

Révolutions atlantiques

À l’automne 1776 se déroule la formation d’une compagnie de milice acadienne alliée aux rebelles américains dans le comté de Cumberland en Nouvelle-Écosse, englobant alors une partie de ce qui deviendra le comté de Westmorland au Nouveau-Brunswick, dont Memrancook. À sa tête, le capitaine Isaïe Boudreau qui commande un groupe de 13 à 19 Acadiens, dont l’objectif consiste à s’emparer du fort Cumberland au profit des rebelles américains, pour ensuite marcher sur Halifax. Cette petite troupe est alors sous le commandement de John Allan et Jonathan Eddy. L’on sait également qu’à l’époque, une pétition envoyée à Halifax en faveur de la formation d’une milice provinciale compte 51 noms d’Acadiens[2]. Quoique cette petite troupe rebelle subisse un échec pas très glorieux, il ne semble pas qu’ils fassent l’objet de représailles de la part de l’administration britannique.

Au Nouveau-Brunswick, les Acadiens sont eux-aussi inscrits dans « plusieurs compagnies de milice » et ce, dès la fin du XVIIIe siècle. Certains détiennent même des « commissions de capitaines » dont Otho Robichaud de Néguac, Jean-Baptiste Thériault de Grande-Anse et Jean-Baptiste Légère du Grand Caraquet. Dans cette colonie, le Milita Act de 1787 et 1792 propose d’implanter au moins un bataillon par comté pour un total de 600 hommes dans l’ensemble de la province. L’année suivante, en 1793, le secrétaire Sir Henry Dundas recommande l’organisation d’une milice dans chaque colonie. Dès 1794, le Militia Act ordonne la convocation de chaque régiment deux fois par année et de chaque compagnie quatre fois l’an. Les hommes doivent être âgés entre 16 et 60 ans et chacun doit fournir son arme et son équipement[3].  Le grand responsable de la milice dans la province est alors le lieutenant-colonel Alexander MacDonald, vétéran du 42e régiment, ayant combattu lors de la guerre d’indépendance américaine. Pour ses services, il reçoit 600 acres de terre à l’embouchure de la rivière Bartibog. En 1787, il organise quatre compagnies de milice soit à Bartibog, Chatham, Loggieville et Nepisiguit[4].

D’ailleurs, rappelons qu’au moment où débute la guerre d’Indépendance américaine, il y a toujours des Acadiens en territoire américain et qui se rangent du côté des rebelles comme l’ont fait certains de la grande région de Memramcook. L’on pense entre autres à Pierre Robichaud, son frère Joseph, de même que Basil Mius. D’abord, Pierre participe aux affrontements de Lexington et Concord en 1775 et en 1777-78. Quant à Joseph, il s’enrôle au Rhode Island en 1776 et décède en 1787 à l’âge de 31 ans. Finalement, Basil Mius, lui, s’enrôle à Gloucester (Mass.) en 1776. Selon les estimés de d’Entremont, une cinquantaine d’Acadiens auraient combattus aux côtés des rebelles pour ensuite recevoir des terres[5].

Aux îles Saint-Pierre et Miquelon, un bon nombre d’Acadiens servent plutôt sur des navires français de la Royale ou sur des corsaires. Quelques-uns sont capturés et internés en Angleterre durant les guerres napoléoniennes et d’empires. Nous en avons identifié onze, dont cinq sont en prison et six sont embarqués sur des navires corsaires. Les deux fils de Guillaume Petitpas soit François (27 ans) et Pierre (26 ans), sont respectivement en prison et sur un corsaire. Jean Chevalier (36 ans) est embarqué sur un brigantin « pour la République », le fils de Jean Mouton, Louis (21 ans) est en prison quelque part. Bertrand Hiriard (32 ans) est sur un corsaire alors que Jean Comeau est lui-aussi en prison. François et Pierre Detcheverry sont tous deux sur un corsaire, tout comme Michel Leborgne II (27 ans). Quant à Michel Leborgne I (50 ans), il est en prison. Finalement, Baptiste Briand est emprisonné à Plymouth en Angleterre[6]. Dans les ports français de la métropole de 1762 à 1785, Adeline Vasquez-Para a identifié 66 matelots acadiens engagés sur 38 vaisseaux dans la flotte royale ou sur des vaisseaux marchands commerçant dans l’Océan Indien[7].

La Guerre de 1812-15

Entre 1807 et 1814, le Conseil législatif et l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick s’engagent dans un long débat avec les fonctionnaires impériaux britanniques au sujet de l’adoption de nouvelles mesures législatives concernant la milice. Et surtout, dans une perspective de maintenir un équilibre constitutionnellement approprié des pouvoirs entre les autorités civiles et militaires. Le Nouveau-Brunswick a alors à sa tête un gouvernement colonial affichant une grande assurance, puisqu’il conteste certaines politiques impériales jugées contraires aux besoins de la colonie. Selon Mancke, Bent et McLaughin, il s’agirait bel et bien d’une résistance des représentants néo-brunswickois a une volonté britannique de militariser une colonie de peuplement[8].

Selon les recherches de Ronnie-Gilles LeBlanc, au moins une centaine d’Acadiens s’enrôlent dans la milice néo-brunswickoise lors de la Guerre de 1812[9]. D’ailleurs, à Richibouctou en 1813, le lieutenant-colonel Joseph Gibbins, inspecteur des milices du Nouveau-Brunswick de 1810 à 1816, vante la population acadienne pour son respect de la loi et ses autres qualités, dont celle de leur loyauté envers les Britanniques[10]. Gibbins en attribue une partie du mérite aux interventions de l’évêque J.-O. Plessis lors de sa visite pastorale de 1812, et ce serait le même scénario qui se manifeste au nord-est de la province[11]. De 1812 à 1828, trois bataillons demeurent actifs sur la côte est de la province dont durant la guerre de 1812 soit à Saumarez, Miramichi, Kent et Caraquet-Restigouche. L’historien Donat Robichaud a identifié au moins 55 de ces hommes dont 18 sont Acadiens soit 33% des effectifs. D’abord, les gradés au titre de capitaines sont Otho Robichaud (Néguac), Thomas Roy et Jean-Baptiste Léger (Caraquet). Notons que durant ce conflit, les miliciens du Nord-Est durent se rendre à Fredericton en raquette à l’hiver 1813 pour subir un entrainement plus intensif. La milice de Caraquet est alors commandée par le capitaine Clark et le lieutenant Michel Landry[12]. Ces hommes auront éventuellement droit à une pension à vie de 20$ par année. Les informations tirées des archives établissent leur nombre a 14 bénéficiaires, dans la région allant de Néguac à Petit-Rocher.

À la suite du conflit de 1812-15, la milice sera réorganisée dans la province et en 1826, des divisions existent à Bathurst et Caraquet. En 1828, Louis Robichaud est promu au sein du premier bataillon de Miramichi, alors que Michel Landry et Augustin Landry deviennent respectivement major et capitaine dans Gloucester. Sur un total de 41 officiers dans la milice provinciale, six sont Acadiens[13]. Signalons également qu’au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, l’Acadien Anselme Doucet, âgé de 27 ans en 1808, détient alors le rang de capitaine de la compagnie Doucet du 25e bataillon de la milice de Nouvelle-Écosse. C’était le bataillon de Clare et il fut promu au rang de lieutenant-colonel en mars 1814, avant de devenir lieutenant-colonel du régiment de Digby le 9 septembre 1820[14].

Résister à l’enrôlement?

Keith Mercer à démontrer qu’il existait bel et bien des foyers de résistance à l’enrôlement forcé à Halifax, St-John’s et Québec. Cet enrôlement se déployait alors sur la plupart des régions côtières de l’Amérique du Nord britannique. Il y eu même des émeutes à St-John’s en 1794 et à Halifax en 1805. Cela résulta en une interdiction de l’enrôlement à terre durant une grande partie des guerres d’empires[15]. En contrepartie de cette apparente enthousiasme envers la milice, d’autres Acadiens manifestent leur refus de s’enrôler. D’abord à Memramcook, ou des Acadiennes accueillent l’ordonnance d’enrôlement avec des « cris et des larmes ». Idem au Madawaska, communauté transfrontalière avec le Maine et craignant les retombées négatives des voisins américains. À Bouctouche en 1812, Israël Robichaud est enrôlé par une frégate anglaise arrivée au port. Il est le fils de François Robichaud, déporté à Boston durant le Grand Dérangement. Israël n’a par la suite jamais donné de nouvelle à sa famille, mais l’on sait qu’il meurt le 28 décembre 1812 à Kingston en Ontario, alors qu’il est membre de la neuvième compagnie d’infanterie légère[16].

Conclusion

Il importe donc de noter que pour certains Acadiens, un titre de capitaine de milice, de lieutenant ou même d’enseigne, constituent des « distinctions » n’étant pas à la portée de tous dans cette petite société minoritaire et qui plus est, en reconstruction depuis 1755. Ces titres et fonctions amènent d’ailleurs certains privilèges concrets, dont celui d’accéder au premier banc à l’avant de l’église et Nicolas Boucher s’en prévaudra à Caraquet. De manière générale, surtout chez les plus jeunes, l’enrôlement pouvait aussi constituer un accès à l’argent comptant ou simplement une promesse d’aventure.

Alors que Ronnie-Gilles LeBlanc estime que le conflit de 1812 révèle une « pluralité de comportements » variant entre enrôlement volontaire dans les « milices locales », la neutralité et finalement, « l’hostilité à l’endroit des soldats britanniques », Maurice Basque est d’avis que la participation acadienne à l’enrôlement démontre une certaine « transformation de la culture politique » alors que la neutralité se révèle moins unanime. Il en conclut que cette Acadie du début du XIXe siècle n’est « pas aussi repliée sur elle-même qu’on en l’aurait cru ».

 

Nicolas Landry est professeur retraité, l’université de Moncton, campus de Shippagan. Les recherches actuelles du professeur Landry portent sur l’histoire du Nord-est du Nouveau-Brunswick à l’époque du Régime français soit les 17e et 18e siècles.


 

[1] APNB. Land Petition, Northumberland. Petition no. 609. Capitaine Jean-Baptiste Thériault, 30 janvier 1813.

[2] Clarence J. d’Entremont « La participation acadienne a la guerre d’indépendance américaine », CSHA, vol. 7, no 11 (mars 1976) : 5-13.

[3] Donat Robichaud « Premières milices de Gloucester », RHSHND, vol. XII, no 2 (juin-septembre 1984) : 9-30.

[4] Robichaud, op.cit., p. 15-18.

[5] Clarence J. d’Entremont, “The Acadian Participation in the War of Independence of the United States”. http: acadie1755.tripod. comPC100.)

[6] Nicolas Landry, « Profil démographique et socio-économique d’une colonie de l’Atlantique français : Saint-Pierre-et-Miquelon, 1763-1792 ». Document inédit hébergé sur le site web de l’Arche, SPM. Juin 2017. Https:// issuu.com.

[7] Adeline Vasquez-Parra, « Connexions acadiennes et réseaux marchands français dans l’Océan Indien (1762-1785) : une marge d’autonomisation? », Acadiensis, Vol. 50, no 1 (printemps 2021) : 96-119.

[8] Elizabeth Manke, David Bent et Mark J. McLaughlin, “Their unalienable right and privilege: New Brunswick Challenge to the Militarization of the British Empire, 1807-1814”, Acadiensis, Vol. 46, no 1 (Winter, Spring 2017): 49-72.

[9] Ronnie-Gilles Le Blanc, « La communauté acadienne et la guerre de 1812 » (Halifax, Parcs Canada, 2021), document inédit.

[10] Maurice Basque, « Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Guerre de 1812 », Canadian Issues- Thèmes canadiens, (Fall 2012) : 60-62. Journal of Joseph Gibbins, 1811. Entrée du 19 juillet 1811. Cité dans Cédric Haines, « L’établissement acadien au nord-est du Nouveau-Brunswick, 1755-1826 », RHSHND, vol. 9, no 2 (mai-août 1981), Partie II, p. 29.

[11] Basque, op.cit., p. 61.

[12] Robichaud, op.cit., p. 17.

[13] Robichaud, op.cit., p. 18.

[14] Wellie-J. Belliveau, « Le lieutenant-colonel Anselme Doucet (1781-1861) », CSHA, vol. II, no 5 (avril-mai-juin 1967): 205-208.

[15] Keith Mercer « Northern Exposure: Resistance to Naval Impressment in British North America, 1775-1815”, Canadian Historical Review, vol. 19, no 2 (June 2010): 199-232.

[16] Robichaud, op.cit., p. 11.

 

Featured image:  Plan de la partie occidentale de l’isthme de Chignectou, montrant le fort de Beauséjour et ses environs (circa 1760), McCord Stewart Museum.

 

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